04.05.2022

Entrepreneur individuel : un nouveau statut plus protecteur

Une réforme de fond pour le statut d'entrepreneur individuel

Les biens « utiles » à l’exercice de l’activité professionnelle d’un entrepreneur individuel, son patrimoine professionnel, seront automatiquement séparés de ses autres biens – son patrimoine personnel – et le gage des créanciers dont les droits seront nés à l’occasion de cette activité sera limité au patrimoine professionnel, sauf renonciation de l’entrepreneur à cette limitation.

1. L’une des mesures phares de la loi 2022-172 du 14 février 2022 est la création d’un statut unique protecteur pour l’entrepreneur individuel, dont le patrimoine sera de plein droit scindé entre biens personnels et biens professionnels. Pour ce faire, de nouvelles dispositions sont insérées dans le titre II du livre V du Code de commerce, désormais intitulé « De la protection de l’entrepreneur individuel » (C. com. art. L 526-22 à L 526-26 nouveaux ; Loi 2022-172 art. 1).

L’objectif est de concilier l’aspect protecteur offert par l’actuel statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) avec la simplicité de l’entreprenariat individuel. La protection du patrimoine personnel peut aussi être assurée par la création d’une SARL unipersonnelle (EURL), le patrimoine de celle-ci ne se confondant pas avec celui de l’entrepreneur, mais la constitution d’une société engendre des formalités et des coûts. En outre, alors qu’en cas de constitution d’une SARL les créanciers peuvent demander au fondateur un cautionnement des engagements sociaux sur ses biens personnels, ils ne pourront pas demander une telle garantie à l’entrepreneur individuel.

2. Les nouvelles dispositions entreront en vigueur le 15 mai 2022 ; elles s’appliqueront à tous les entrepreneurs individuels en exercice mais uniquement pour les créances qui seront nées à compter de cette date ; un décret précisant les conditions d’application du dispositif devra toutefois avoir été publié pour permettre cette entrée en vigueur (Loi 2022-172 art. 19, I).

Quelle est la définition de l’entrepreneur individuel ?

L’entrepreneur individuel est défini comme toute personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes (C. com. art. L 526-22 nouveau, al. 1). Cette définition large vise tant les commerçants, les artisans, les agriculteurs que les professions libérales, même réglementées.

Division du patrimoine de l’entrepreneur individuel

Actuellement, sauf s’il a opté pour le statut d’EIRL, un entrepreneur individuel ne dispose que d’un seul patrimoine, composé tant de biens personnels que de biens professionnels.

Avec le nouveau statut, les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel sera titulaire et qui seront utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constitueront son patrimoine professionnel. Sous réserve des règles relatives aux procédures collectives, ce patrimoine ne pourra pas être scindé. Les éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constitueront son patrimoine personnel (C. com. art. L 526-22 nouveau, al. 2). Les biens utiles à l’activité constitueront le patrimoine professionnel

La distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorisera pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il sera le débiteur principal (C. com. art. L 526-22 nouveau, al. 3).

La loi nouvelle prévoit par ailleurs la possibilité pour le créancier dont les droits seront nés à l’occasion de l’exercice professionnel de l’entrepreneur individuel d’obtenir conventionnellement des sûretés mais celles-ci ne pourront pas prendre la forme d’un cautionnement.

Que comprend le patrimoine professionnel ?

À la différence de l’actuelle option pour le régime de l’EIRL, l’entrepreneur individuel bénéficiera de la séparation des patrimoines sans déclaration d’affectation ni état descriptif. La distinction reposera uniquement sur le critère légal des biens « utiles à l’activité ». Les travaux parlementaires n’apportent pas de précisions sur cette notion, qui semble plus large que celle de « biens nécessaires à l’activité » retenue pour l’EIRL. Elle pourrait être source de difficultés en pratique, notamment s’agissant des biens mixtes, comme un véhicule utilisé à des fins personnelles et professionnelles. La proposition du Sénat de retenir comme notion celle de biens exclusivement utiles à l’activité professionnelle ayant été écartée, on peut penser que ces biens mixtes feront partie du patrimoine professionnel. Des précisions dans le décret qui fixera les modalités du dispositif seraient bienvenues. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’Etat a d’ailleurs souligné la nécessité pour ce décret de traiter du sort de tels biens, de même que de celui des biens communs, ainsi que du numéraire, l’entrepreneur n’étant pas tenu de détenir un compte bancaire distinct.

En effet, la loi nouvelle ne fait pas obligation à l’entrepreneur individuel d’ouvrir un compte bancaire séparé pour l’exercice de son activité, comme c’est le cas pour l’EIRL. Toutefois, cette obligation continuera de s’appliquer aux micro-entrepreneurs dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 10 000 € pendant deux années consécutives (CSS art. L 613-10). L’obligation faite à tout commerçant de se faire ouvrir un compte bancaire continuera de s’appliquer également (C. com. art. L 124-24).

Même quand il ne sera pas soumis à l’une de ces obligations, l’entrepreneur individuel aura tout intérêt à ouvrir un compte bancaire séparé pour son activité professionnelle, notamment au regard de la charge de la preuve qui lui incombera en cas de contestation sur la composition des patrimoines ( no 12).

Limitation du gage des créanciers

Aujourd’hui, pour toute dette contractée pour les besoins de son entreprise, l’entrepreneur individuel est tenu sur l’ensemble de ses biens, présents et à venir, sur lesquels les créanciers disposent d’un droit de gage général (C. civ. art. 2284 et 2285), hormis certains biens insaisissables comme sa résidence principale (C. com. art. L 526-1 s.), et hors le cas de l’EIRL.

1. Créanciers professionnels 

Après l’entrée en vigueur de la réforme, l’entrepreneur individuel ne sera tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits seront nés à l’occasion de son exercice professionnel (« créanciers professionnels ») que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation (C. com. art. L 526-22 nouveau, al. 4). L’entrepreneur individuel pourra ainsi engager en garantie d’une dette professionnelle un élément de son patrimoine personnel (nantissement d’assurance-vie, hypothèque d’un immeuble autre que son habitation principale…). Sur la renonciation à la séparation des patrimoines, voir no 14.

Il est en outre expressément précisé que les dettes dont l’entrepreneur individuel sera redevable envers les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales seront des dettes nées à l’occasion de son exercice professionnel (art. L 526-22 nouveau, al. 5).

La limitation du gage des « créanciers professionnels » au patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel s’appliquera aux créances postérieures au 15 mai 2022 et qui seront nées à compter (C. com. art. L 526-23 nouveau) : 

  • de l’immatriculation au registre dont l’entrepreneur relèvera pour son activité ; 
  • de la date d’immatriculation la plus ancienne lorsqu’il relèvera de plusieurs registres ; 
  • de la date déclarée du début d’activité, si celle-ci est antérieure à la date d’immatriculation ; 
  • du premier acte qu’il exercera en qualité d’entrepreneur individuel, quand il ne sera pas tenu d’une obligation d’immatriculation, cette qualité devant apparaître sur les documents et les correspondances à usage professionnel.

2. Créanciers personnels

Seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constituera le gage général des créanciers dont les droits ne seront pas nés à l’occasion de son exercice professionnel. Toutefois, quand le patrimoine personnel sera insuffisant, ce droit de gage pourra s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. En outre, les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conserveront leur effet, quelle que sera leur assiette (C. com. art. L 526-22 nouveau, al. 6).

Procédures civiles d’exécution

En cas de mesure d’exécution forcée ou de mesure conservatoire portant sur l’un de ses biens, il appartiendra à l’entrepreneur individuel s’il conteste l’inclusion ou non du bien dans le périmètre du droit de gage général du créancier de le prouver. La responsabilité du créancier saisissant pourra être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il aura procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général (C. com. art. L 526-22 nouveau, al. 7).

En pratique, la preuve de la composition des patrimoines pourrait notamment résulter des documents comptables de l’entrepreneur individuel, en particulier le bilan annuel qui décrit séparément les éléments actifs et passifs de l’entreprise (C. com. art. L 123-12 et L 123-13, pour les commerçants).

Les règles applicables aux saisies sont par ailleurs adaptées pour tenir compte de la séparation des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel (C. exécution art. L 161-1 ; Loi 2022-172 art. 3). Aujourd’hui, tous les biens saisissables de l’entrepreneur individuel, qu’ils aient été ou non affectés à l’entreprise, peuvent servir au paiement du créancier poursuivant. Toutefois, l’entrepreneur peut demander au créancier professionnel dont les droits sont nés à l’occasion de l’exploitation de l’entreprise de saisir en priorité les biens nécessaires à cette exploitation s’il établit que ces biens sont d’une valeur suffisante pour garantir le paiement de la créance. Le créancier peut s’y opposer s’il établit que cette demande met en péril le recouvrement de sa créance.

Pour leurs créances nées à compter du 15 mai 2022 (Loi 2022-172 art. 19, I), les créanciers de l’entrepreneur individuel ne pourront saisir que les biens sur lesquels ils disposeront d’un droit de gage, c’est-à-dire sur le patrimoine professionnel pour les créances nées à l’occasion de l’activité professionnelle ou sur le patrimoine personnel pour les autres créances (C. exécution art. L 161-1, al. 1 modifié).

En cas de renonciation par l’entrepreneur individuel à la scission de patrimoine, au profit d’un « créancier professionnel », ce créancier pourra toutefois engager une procédure civile d’exécution sur tous les biens saisissables de l’entrepreneur, utiles ou non à son activité professionnelle, à moins que celui-ci lui demande de saisir en priorité les biens constituant son patrimoine professionnel s’il est suffisant pour garantir le paiement de la créance (C. exécution art. L 161-1, al. 2 modifié).

La faculté pour l’entrepreneur de demander en priorité la saisie des biens nécessaires à l’exploitation de l’entreprise n’étant reprise qu’en cas de renonciation à la scission au profit d’un créancier, il ne pourra plus formuler une telle demande à l’égard des autres « créanciers professionnels » auxquels la dissociation des patrimoines ne sera pas opposable, notamment ceux dont les droits seront nés avant le 15 mai 2022. 

Exceptions à la limitation du gage des créanciers

Outre la faculté de consentir au « créancier professionnel » des sûretés conventionnelles, l’entrepreneur individuel pourra renoncer à la limitation du gage des « créanciers professionnels », sur demande écrite de l’un d’eux, pour un engagement spécifique dont ce dernier devra rappeler le terme et le montant, qui devra être déterminé ou déterminable. La renonciation devra respecter, à peine de nullité, des formes qui seront précisées par décret. Elle ne pourra intervenir avant l’échéance d’un délai de réflexion de 7 jours francs à compter de la réception de la demande de renonciation. Quand l’entrepreneur individuel fera précéder sa signature de la mention manuscrite qui sera énoncée par décret et uniquement de celle-ci, le délai de réflexion sera réduit à 3 jours francs (C. com. art. L 526-25 nouveau).

L’entrepreneur pourra renoncer à la limitation du gage des créanciers professionnels

Signalons qu’aucun mécanisme d’information des coïndivisaires ou du conjoint de l’entrepreneur individuel marié sous le régime de la communauté n’est prévu par le texte en cas de renonciation à la séparation des patrimoines.

Le droit de gage de l’administration fiscale et des organismes de sécurité sociale portera sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel (C. com. art. L 526-24 nouveau) : 

  • en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales au titre de son entreprise ou à titre personnel ou d’inobservation grave et répétée dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales au titre de son entreprise, la réalité de ces agissements n’ayant plus à être constatée au préalable par le juge (LPF art. L 273 B et CSS art. L 133-4-7 modifiés ; Loi 2022-172 art. 4) ; 
  • pour le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux (sauf option de l’entrepreneur pour l’impôt sur les sociétés : CGI art. 1655 sexies), ainsi que pour le recouvrement de la taxe foncière afférente aux biens utiles à l’activité professionnelle, dont l’entrepreneur individuel ou son foyer fiscal sera redevable (LPF art. L 273 B, III modifié) ; 
  • pour le recouvrement par les organismes de sécurité sociale de l’impôt sur le revenu dû par les micro-entrepreneurs (versement forfaitaire libératoire) ou des contributions sociales (CSG et CRDS sur les revenus d’activité et de remplacement) (CSS art. L 133-4-7, al. 2 modifié).

Les conditions d’application de ces dispositions au profit du fisc et des organismes sociaux seront précisées par décret.

Risques d’insécurité juridique

Le sort des créanciers risque de se complexifier, au regard de la multiplication des situations qui vont naître du nouveau statut de l’entrepreneur individuel. Une concurrence entre créanciers d’activités professionnelles distinctes pourrait s’établir puisqu’ils disposeront tous d’un droit de gage général sur le patrimoine professionnel unique de l’entrepreneur individuel, celui-ci ne pouvant pas être scindé, contrairement au régime de l’EIRL.

En outre, coexisteront de nombreuses hypothèses dans lesquelles la dualité des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel ne sera pas applicable. Certains créanciers bénéficieront encore d’un droit de gage général portant sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur, comme les créanciers dont la créance sera née avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ( no 10), les créanciers dont la créance sera née avant le début de l’activité professionnelle de l’entrepreneur ( no 10), les « créanciers professionnels » au bénéfice desquels l’entrepreneur aura renoncé à la scission de son patrimoine ( no 14) ou encore l’administration fiscale et les organismes de sécurité sociale ( no 15). D’autres créanciers disposeront d’un droit de gage sur une partie seulement des biens de l’entrepreneur : les créanciers personnels bénéficiant d’une sûreté réelle, consentie avant le début de l’activité professionnelle, sur un bien devenu professionnel, les créanciers personnels qui pourront exercer leur droit de gage sur des biens professionnels en cas de patrimoine personnel insuffisant, dans la limite d’un certain montant ( no 11), ou les « créanciers professionnels » auxquels l’entrepreneur aura consenti une sûreté sur ses biens personnels ( no 9).

Ces droits de gage différenciés, combinés au manque de clarté de la démarcation entre patrimoine personnel et patrimoine professionnel ( nos 4 s.), nous paraissent source d’insécurité juridique.

Biens communs et biens indivis

La loi nouvelle précise que ses dispositions relatives au statut de l’entrepreneur individuel s’entendent « sans préjudice des pouvoirs reconnus aux époux pour administrer leurs biens communs et en disposer » (C. com. art. L 526-26 nouveau). Il semble en résulter qu’un bien commun pourrait intégrer le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel sans que son conjoint ait nécessairement donné son accord ou même en soit informé, à l’inverse de ce qui est prévu pour l’EIRL (C. com. art. L 526-11). En effet, chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer et l’époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d’accomplir les actes d’administration et de disposition nécessaires à celle-ci, à l’exception de certains actes (comme la cession d’un fonds de commerce ou la signature d’un bail commercial) (C. civ. art. 1421).

Par ailleurs, la problématique des biens indivis n’est pas abordée par la loi nouvelle. Au contraire du régime de l’EIRL, l’accord des coïndivisaires pour affecter un bien indivis au patrimoine professionnel et leur information préalable concernant les droits des créanciers ne sont pas non plus exigés par le nouveau texte. Rappelons que les créanciers d’un indivisaire ne peuvent pas saisir sa part dans les biens indivis mais ils ont la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui (C. civ. art. 815-17).

Cessation de l’activité de l’entrepreneur individuel

Dans le cas où un entrepreneur individuel cessera toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel seront réunis. Il en sera de même en cas de décès de l’entrepreneur individuel, sous réserve de l’éventuelle application des dispositions sur le redressement et la liquidation judiciaires prévues aux articles L 631-3 et L 640-3 du Code de commerce (C. com. art. L 526-22, al. 8 nouveau).

Source : Cass. com. 19 janvier 2022, n°°20-14089 et 20-14090