22.02.2024

Même falsifiée, la nomination d’un gérant fait foi lorsqu’elle a été publiée

Une situation ubuesque en matière de nomination de gérant : même fausse elle est valable.

Dès lors que la nomination du gérant a été régulièrement publiée, la société doit respecter les engagements souscrits par ce dernier. 

Peu importe que la signature du procès-verbal de nomination soit contrefaite. 

Tel est l’enseignement d’un récent arrêt de la Cour de cassation, qui se prononce pour la première fois sur cette question.

Une société civile d’exploitation agricole (SCEA) est propriétaire de parcelles en nature de vignes, qu’elle donne à bail. 

Au fil des années, les baux font l’objet d’avenants, qui confèrent rétroactivement à une autre société, exploitante, la qualité de co-preneur.

Puis, deux nouveaux baux sont consentis dans les mêmes conditions à la société exploitante, sur d’autres parcelles appartenant à la SCEA.

Seulement voilà, près de 6 ans plus tard, la SCEA remet en cause la qualité de gérant de la personne l'ayant représentée lors de la signature des baux et avenants, qui n’est autre qu’un associé de la société exploitante. 

Elle assigne alors cette dernière pour obtenir son expulsion des parcelles.

La SCEA demande, en outre, au greffe du tribunal, l'inscription en faux des baux et avenants litigieux.

Ses demandes ayant été rejetées par les juges d’appel, la SCEA se pourvoit en cassation.

Une question inédite posée à la Cour de cassation :

Devant la Cour de cassation, la SCEA soutient que la signature apposée sur le procès-verbal de l'assemblée ayant désigné le faux gérant est contrefaite, ce que la société exploitante ne conteste pas.

Or, pour la SCEA, la contrefaçon d’un procès-verbal de nomination d’un gérant est constitutive d’une fraude, ce qui rend cette nomination inexistante. En conséquence, selon elle, la publication de cette décision devrait lui être inopposable.

La question posée à la Cour de cassation est inédite : la publication de la nomination falsifiée d’un gérant s'impose-t-elle à la société concernée ?

Une solution rude pour la société victime du faux gérant :

Une falsification considérée comme une simple irrégularité

Pour la Cour de cassation, il importe tout d’abord de savoir si la contrefaçon de la signature du procès-verbal constitue une irrégularité dans la nomination du gérant ou si, au contraire, cette nomination doit être regardée comme totalement inexistante.

La réponse à cette question est déterminante, car elle conditionne l'opposabilité ou non de la décision de nomination à la société.

En effet, comme le rappelle la Cour de cassation ni la société, ni les tiers, ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d'une irrégularité dans la nomination des dirigeants, lorsque la nomination a été régulièrement publiée. Ce principe s'applique à toute société, qu'elle soit commerciale ou civile (c. civ. art. 1846-2 ; c. com. art. L. 210-9).

La Cour souligne que ces dispositions ne font aucune distinction selon la nature des irrégularités entachant la décision de nomination du gérant. 

Leur objectif est d'assurer la protection des tiers ne disposant pas d’autres moyens pour s’assurer de la régularité de la nomination.

Elle relève par ailleurs qu'il appartient à la société de vérifier les informations publiées sur l’identité de ses représentants et d’en demander, le cas échéant, la rectification.

En conclusion, la Cour considère que la falsification de la désignation du gérant doit être regardée comme une simple irrégularité, ce qui rend sa publication opposable à la société.

Seule une collusion frauduleuse peut priver d'effet la publication :

La Cour de cassation s'est ensuite penchée sur la question de savoir si l'opposabilité de la publication peut être contestée par la société en présence d'une fraude.

La Cour rappelle que la publicité légale ne peut être remise en cause que pour neutraliser les effets des actes les plus graves préjudiciant les personnes morales.

Pour la Cour, seule l'existence d'une collusion frauduleuse entre le gérant désigné et le tiers cocontractant peut avoir cet effet. En revanche, la simple connaissance par le tiers cocontractant de l'irrégularité ne suffit pas à écarter l'opposabilité de la publicité légale.

Elle précise, enfin, que le caractère frauduleux de la publication ne peut pas se déduire du seul caractère frauduleux de la désignation d'un gérant, « notamment lorsqu'il résulte de la contrefaçon d'un procès-verbal d'assemblée générale ».
La Cour en conclut qu’à défaut d’avoir invoqué et démontré l'existence d'une collusion frauduleuse, la nomination falsifiée du gérant demeure opposable à la SCEA.

L’irrégularité de la nomination d’un dirigeant est couverte par sa publication qui la rend opposable à la société.

Seule une collusion frauduleuse entre le dirigeant irrégulièrement nommé et un tiers peut permettre en cause, l’opposabilité de la publication à la société.

Source : Cass. civ., 3e ch., 26 octobre 2023, n° 21-17937