Forfait-jours : nouvelles précisions sur la sanction de l'inexécution des garanties conventionnelles
Dans un arrêt du 15 décembre 2021, la Cour de cassation pose pour principe que l’inexécution par l’employeur des dispositions de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés en forfait-jours n’entraîne pas l’inopposabilité de cet accord à l’égard de ces derniers. Ils pourront donc s’en prévaloir pour faire constater que leur convention individuelle est privée d’effet. Toutefois, un syndicat n’est pas recevable à agir, au nom de l’intérêt collectif de la profession, pour obtenir la nullité ou l’inopposabilité des conventions individuelles des salariés concernés.
Action d’un syndicat contre l’application d’un forfait-jours
En l’espèce, un syndicat soutenait que l’accord d’entreprise instituant le forfait-jours ne respectait pas le droit à la santé et à la sécurité des salariés. Il a saisi le tribunal de grande instance pour que la nullité de l’accord soit prononcée ainsi que celle des conventions individuelles de forfait signées sur ce fondement.
Pour les juges d’appel, l’accord collectif était parfaitement valide, mais du fait de l’inexécution par l’employeur des stipulations relatives au contrôle de la charge et de l’amplitude de travail, l’accord collectif a été déclaré inopposable aux salariés pour la période antérieure à 2015, de sorte que ceux-ci se trouvaient, dans les limites de la prescription, soumis à la réglementation de droit commun du temps de travail. Un verdict en partie censuré par la Cour de cassation.
Pas de remise en cause possible des conventions individuelles par un syndicat
Dans son arrêt du 15 décembre 2021, la Cour de cassation précise qu’« un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier de recours au forfait en jours, sous réserve de l’exercice éventuel par les salariés concernés des droits qu’ils tiennent de la relation contractuelle, et à satisfaire aux obligations conventionnelles de nature à assurer le respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que les repos quotidiens et hebdomadaires ».
Par contre, « ses demandes tendant à obtenir, d’une part, la nullité ou l’inopposabilité des conventions individuelles de forfait en jours des salariés concernés et, d’autre part, que le décompte du temps de leur travail soit effectué selon les règles du droit commun » ne sont pas recevables, car elles n’ont « pas pour objet la défense de l’intérêt collectif de la profession ».
Autrement dit, si le syndicat peut, au nom de la défense de l’intérêt collectif de la profession, engager une action visant à faire constater le caractère insuffisamment protecteur de l’accord collectif, ou tendant à obtenir l’exécution par l’employeur des obligations conventionnelles mises à sa charge, il n’a en revanche pas qualité pour demander à ce que soient constatées la nullité ou l’inopposabilité des conventions individuelles des salariés concernés. Il appartient en effet à chaque salarié d’intenter, en conséquence de l’action engagée par le syndicat sur le fondement de l’intérêt collectif, son action individuelle et de justifier de la réalité des droits invoqués et ce, dans le respect du délai de prescription applicable.
Un accord jugé valide
Le syndicat a de ce fait été débouté de sa requête tendant à la nullité de l’accord.
Confirmant la décision des juges du fond, la Cour de cassation a considéré que les stipulations litigieuses étaient bien « de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours », puisqu’il y est précisé que :
- « la mission et la charge de travail confiées aux cadres ne devaient pas conduire à imposer un horaire moyen sur l’année supérieur à huit heures de temps de travail effectif par jour soit […] 1 736 heures à l’année » ;
- « les cadres ne devraient pas dépasser un horaire quotidien de dix heures de temps de travail effectif et […] être astreints à respecter un tel horaire » ;
- les signataires étaient convenus de « rechercher une organisation […] permettant l’octroi systématique des deux jours entiers de repos hebdomadaire par semaine […] et que chaque cadre devrait bénéficier d’un repos hebdomadaire d’une durée minimale de 35 heures consécutives » sauf dérogation. « Il résulte de ces dispositions que l’employeur doit notamment veiller au risque de surcharge de travail du salarié et y remédier, de sorte que le contrôle de la durée maximale de travail soit assuré », précise l’arrêt.
Pas d’inopposabilité de l’accord en cas de défaillance de l’employeur
L’accord a certes été jugé valide, mais encore fallait-il qu’il soit respecté par l’employeur. Or, ce dernier s’était montré défaillant, notamment dans son obligation d’effectuer un suivi régulier de la charge de travail. Il est de jurisprudence constante que l’absence de mise en œuvre des garanties conventionnelles relatives à la protection de la santé du salarié permet à ce dernier de faire juger que la convention individuelle est privée d’effet, de sorte que celle-ci est suspendue pendant toute la durée pendant laquelle ces garanties n’ont pas été respectées ce qui permet de revendiquer le paiement des heures supplémentaires réalisées sur la période considérée (Cass. soc., 2 juillet 2014, nº 13-11.940 PB).
La Cour d’appel en avaient déduit en l’espèce l’inopposabilité de l’accord collectif lui-même, malgré sa validité.
La Cour de cassation casse l’arrêt de Cour d’appel sur ce point en précisant, par un moyen relevé d’office et pour la première fois, que « le non-respect par l’employeur des clauses de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours n’entraîne pas son inopposabilité aux salariés mais la privation d’effet des conventions individuelles conclues en application de cet accord ».
Sources : Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 1440 du 15 décembre 2021, Pourvoi nº 19-18.226