Envoyer des blagues sexistes avec sa messagerie professionnelle, une liberté fondamentale du salarié ?
L'employeur ne peut pas utiliser le contenu d'e-mails personnels d'un salarié émis et reçus grâce à l'outil informatique professionnel pour le licencier. Cette violation du droit au respect de l'intimité de sa vie privée entraîne, à elle seule, la nullité du licenciement.
Dans cette affaire, un salarié est licencié pour faute grave aux motifs de factures réglées en l'absence de contrats ou pour des prestations fictives, du remboursement de frais professionnels injustifiés, de son implication dans une société tierce, d'un comportement déloyal et... de l'envoi de courriels contenant des images et des liens à caractère sexuel.
Le salarié avait, en effet, entretenu une correspondance électronique avec un subordonné et des personnes étrangères à l'entreprise, grâce à l'outil informatique mis à sa disposition pour son travail. Ces messages, estampillés "privés", avaient une connotation sexuelle avérée mais ne constituaient pas des faits de harcèlement sexuel. Il s'agissait d'envois de blagues sexistes (de très mauvais goût) et de photos pouvant être considérées comme pornographiques qui ne ciblaient personne en particulier.
Le salarié conteste son licenciement en justice. Il est débouté en appel, les juges du fond considérant que les messages litigieux contrevenaient à la charte interne de l'entreprise destinée à prévenir le harcèlement sexuel. A tort. La chambre sociale casse l'arrêt d'appel au motif que les messages ne constituaient pas des faits de harcèlement sexuel (arrêt du 2 février 2022). Elle renvoie l'affaire à la cour d'appel autrement composée.
Cette fois-ci, le licenciement est jugé nul par la cour d'appel de renvoi parce qu'il viole la liberté d'expression du salarié. L'employeur se pourvoit en cassation.
Dans un arrêt du 25 septembre 2024, la Cour de cassation censure une nouvelle fois les juges du fond. Elle confirme la nullité du licenciement mais, dans le droit fil de sa jurisprudence, sur un autre fondement, celui de l'atteinte à sa vie privée, et en tire toutes les conséquences qui s'imposent.
L'employeur ne peut utiliser le contenu de courriels personnels pour sanctionner un salarié sans violer le secret des correspondances
En vertu de l'article L.1121-1 du code du travail, tout salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée. Ce droit implique en particulier le secret des correspondances.
Si les courriels figurant sur la boite électronique professionnelle du salarié, sans mention les faisant apparaître comme étant personnels, sont présumés avoir un caractère professionnel et peuvent dès lors être ouverts par l'employeur ; celui-ci ne peut pas, sans violer cette liberté fondamentale, prendre connaissance des messages personnels et identifiés comme tels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où il aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur.
Comme le rappelle l'avocate générale dans son avis joint à l'arrêt, s'agissant de correspondances ou de fichiers à connotation sexuelle, l'employeur est seulement autorisé à reprocher au salarié un manquement à ses obligations contractuelles soit en raison d'un usage abusif de l'outil informatique professionnel à des fins privées, soit de la commission de faits délictueux tels que la pédophilie ou la tenue de propos antisémites susceptibles de nuire aux intérêts de l'entreprise.
En, l'espèce, les messages litigieux avaient bien été identifiés comme personnels, n'étaient pas trop nombreux et aucun fait pénalement répréhensible susceptible de nuire à l'entreprise ne pouvait être relevé.
Fort logiquement, et en dépit du caractère choquant et moralement critiquables de ces messages, la Cour de cassation reprend le dispositif de l'arrêt "Nikon"précité.
La Cour de cassation tire les conséquences de l'illicéité de motif fondé sur la violation de la vie privée du salarié.
Elle rappelle qu'à moins de constituer un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire.
Les propos tenus dans le cadre d'une conversation privée (que ce soit sur messagerie électronique ou sur les réseaux sociaux) qui n'est pas destinée à être rendue publique, ne peuvent pas constituer un manquement du salarié à ses obligations professionnelles.
En outre, précise-t-elle, "le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique professionnel, en violation du droit au respect de l'intimité de la vie privée, entraîne à lui seul la nullité du licenciement".
Les propos échangés par le salarié étant d'ordre privé, sans rapport avec son activité professionnelle et non destinés à être rendus publics, le licenciement du salarié était injustifié. Il était également atteint de nullité puisqu'il violait le droit au respect de sa vie privée.