04.05.2023

Inaptitude physique quand le médecin du travail préconise de reclasser le salarié en télétravail :

Le télétravail, antidote du licenciement pour inaptitude ?

Dans un nouvel arrêt la cour de cassation le 29 mars dernier précise l’étendue de l’obligation de reclassement qui pèse sur l’entreprise lorsque l’un de ses salariés est déclaré inapte ; en effet en matière d’inaptitude, le salarié ne peut être licencié en raison de cette inaptitude que si l’entreprise est dans l’impossibilité de le reclasser sur un autre emploi approprié à ses capacités, la proposition de reclassement devant prendre en compte les conclusions et préconisations émises par le Médecin du travail.

Dans cette affaire, une salariée (Coordinatrice d’équipe pluridisciplinaire dans un centre de santé au travail) est déclarée inapte à son poste par le médecin du travail, qui précise dans son avis que la salariée « pourrait occuper un poste administratif sans déplacement et à temps partiel (2 j/semaine) en télétravail à son domicile avec aménagement du poste approprié »

Plus de 9 mois après avoir été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, la salariée a saisi la juridiction prud’homale afin de contester le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail et de solliciter des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement.

La cour d’appel a fait droit à la demande de la salariée, considérant que l’employeur avait manqué à son obligation de reclassement en n’aménageant pas le poste de la salariée en télétravail. L’entreprise s’est pourvue en cassation ; elle reproche à la cour d’appel de na pas avoir recherché si le télétravail si le télétravail était mis en place au sein de l’entreprise.

En effet, selon l’employeur, l’obligation de reclassement du salarié déclaré inapte ne porte que sur les postes disponibles existant au sein de l’entreprise, l’employeur n’étant pas tenu de créer spécifiquement un poste adapté aux capacités du salarié ; il ne peut donc se voir imposer de reclasser un salarié sur un poste en télétravail que si le télétravail a été mis en place dans l’entreprise. Or, en l’espèce ce n’était pas le cas puisqu’il n’y avait aucun poste en télétravail au sein de l’association et une telle organisation était incompatible avec son activité qui requérait le respect du secret médical.

La Cour de cassation rejette le pourvoi ainsi formé, et s’appuie sur les éléments retenus par la cour d’appel pour caractériser le manquement de l’employeur. Le médecin du travail était clair sur son avis, ayant précisé que la salariée pouvait occuper un poste administratif, sans déplacement et à temps partiel, en télétravail à son domicile avec aménagement approprié du poste ; et avait confirmé cet avis en réponse aux questions de l’employeur. En outre la salariée occupait en dernier lieu un poste de « coordinateur » et les missions accomplies et non contestées par l’employeur ne supposaient pas l’accès aux dossiers médicaux et étaient susceptibles d’être pour l’essentiel réalisées à domicile en télétravail et à temps partiel comme préconisé par le Médecin du travail. Dès lors, les juges du fond ne pouvaient qu’en déduire que l’employeur n’avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement ; la Cour de cassation précisant que la cour d’appel n’avait pas besoin de rechercher si le télétravail avait été mis en place au sein de la société pour prendre sa décision, dès lors que l’aménagement d’un poste en télétravail peut résulter d’un avenant au contrat de travail.

Sur ce terrain l’analyse des décisions récentes de juges du fond met en évidence un accroissement des préconisations de reclassement en télétravail par les médecins du travail ; ce mode d’organisation permettant en effet au salarié inapte de s’épargner les trajets pour se rendre sur son lieu de travail, ou de lui éviter un contact avec un environnement de travail à l’origine de son inaptitude. Dans ce contexte, si l’employeur, à réception d’une telle préconisation, estime que la mise en place du télétravail est impossible, il doit être en mesure de justifier avoir sérieusement tenté de le mettre en place, et pouvoir prouver les obstacles techniques ou fonctionnels qui l’empêchent de se conformer aux consignes du médecin du travail ; étant entendu, comme vient de le rappeler la Cour de cassation dans son arrêt du 29/03/2023, l’absence de mise en place collective du télétravail est insuffisante pour justifier l’impossibilité de proposer ce mode d’aménagement de travail dans le cadre d’un reclassement.

Sources : Cf. Cassation sociale 29/03/2023 – N°21 – 15.472 F-B, Association Gimac santé au travail c/L