Inaptitude : précision sur la prescription applicable à défaut de reprise du versement des salaires
Lorsque l’employeur n’a pas respecté son obligation légale de reprise du versement des salaires à l’expiration du délai d’un mois suivant la déclaration d’inaptitude, le salarié peut introduire une action en rappel de salaires dans un délai de trois ans. Celui-ci, précise la Cour de cassation dans un arrêt du 7 mai, court non pas à compter de la date du manquement de l’employeur, mais à compter de la date d’exigibilité de chaque échéance de salaire qu’il aurait dû verser.
Lorsque le salarié déclaré inapte n’est ni reclassé ni licencié à l’issue d’un délai d’un mois suivant l’examen de reprise, l’employeur doit reprendre le versement du salaire correspondant à l’emploi occupé avant la suspension du contrat (C. trav., art. L. 1226-4 et L. 1226 -11). À défaut, le salarié peut en réclamer le paiement en justice, cette action étant soumise à la prescription applicable en matière de créance salariale, soit trois ans (C. trav., art. L. 3245 -1). Dans un arrêt du 7 mai, la Cour de cassation précise que le point de départ de ce délai doit être fixé à la date d’exigibilité de chacun des salaires dus jusqu’à la rupture du contrat, et non au premier jour où l’employeur aurait dû reprendre le versement du salaire.
Absence de reprise du versement des salaires
Une salariée déclarée inapte le 3 juillet 2012 avait été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 12 septembre 2013.
Son employeur n’ayant pas repris le versement des salaires à l’issue du délai d’un mois prévu par le Code du travail, soit à compter du 3 août 2012, elle avait saisi le conseil de prud’hommes en référé le 1er mars 2016 puis au fond le 3 novembre 2017. Elle sollicitait ainsi le paiement des salaires sur la période d’août 2012 à septembre 2013.
Sa demande a cependant été jugée prescrite par les juges du fond. Selon la cour d’appel, le point de départ de la prescription triennale (C. trav., art. L. 3245 -1) correspondait au jour où l’employeur aurait dû reprendre le versement des salaires, soit le 3 août 2012. La salariée aurait donc dû, selon ce raisonnement, agir avant le 3 août 2015, de sorte que l’action intentée le 1er mars 2016 était prescrite. La Cour de cassation n’a toutefois pas souscrit à cette analyse.
Point de départ de l’action en paiement des salaires.
Dans son arrêt du 7 mai, la Cour de cassation considère que « le délai de prescription de l’action en paiement des salaires dont le versement doit être repris par l’employeur à partir de l’expiration du délai d’un mois suivant la déclaration d’inaptitude, dans les conditions fixées à l’article L. 1226-4, court à compter de la date d’exigibilité de chacune des créances de salaire dues jusqu’à la rupture du contrat de travail ». Cette date correspond, pour les salariés payés au mois, « à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférent au mois considéré », précise-t-elle.
Ce n’est donc pas la date du manquement de l’employeur qui n’a pas repris le versement des salaires qui constitue le point de départ de la prescription, mais chaque salaire qui aurait dû être versé et ne l’a pas été. Chaque salaire non versé et exigible fait alors partir, pour chaque mois concerné, un nouveau délai de prescription. Par conséquent, si la situation s’étale sur plusieurs mois ou plusieurs années, le point de départ de la prescription de l’action sera à chaque fois décalé.
En l’occurrence, les salaires mensuels non versés à compter du 3 août 2012 étaient exigibles chacun à compter de leur mois de versement, et faisaient donc, chacun, partir un nouveau délai de prescription et ce, jusqu’à la rupture du contrat intervenue le 12 septembre 2013. La salariée avait donc jusqu’au 12 septembre 2016 pour agir de sorte que son action, intentée le 1er mars 2016, était recevable.
Conformément au dernier alinéa de l’article L. 3245-1, dans la mesure où le contrat a été rompu, l’action pourra alors porter sur les salaires dus au titre des trois dernières années précédant la rupture, ce qui inclut donc la période d’arriérés de salaires invoquée par la salariée. Un raisonnement identique a été retenu en 2022, s’agissant d’une action en rappel de salaire fondée sur la requalification d’un contrat à temps partiel en contrat à temps plein (Cass. soc., 9 juin 2022, nº 20-16.992 B).
Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 461 du 7 mai 2024, Pourvoi nº 22-24.394