03.11.2022

Jurisprudence : peut-il y avoir des difficultés économiques sans baisse du chiffre d’affaires

Un licenciement économique peut être justifié par plusieurs indicateurs

La Cour de cassation s’est penchée sur le fait de savoir si, pour justifier un licenciement économique, remplir tous les critères d’appréciation des difficultés économiques énumérés par le Code du travail était nécessaire ou non.

Depuis le 1er décembre 2016, l’article L 1233-3 du Code du travail fixe des critères objectifs permettant de définir précisément les difficultés économiques de nature à justifier un licenciement économique. 

Celles-ci doivent en effet être caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires (CA), des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés.

En l’espèce, une entreprise dont l’effectif est compris entre 50 et moins de 300 salariés engage une procédure de licenciements collectifs pour motif économique en invoquant des difficultés économiques. Dans ce cadre, lors de l’entretien préalable, elle propose à un salarié dont elle envisage le licenciement un contrat de sécurisation professionnelle (CSP), qu’il accepte, et lui remet une note d’information sur les motifs économiques du licenciement.

Le 8 mars 2017, l’entreprise notifie au salarié la rupture de son contrat de travail, en invoquant l’évolution significative de plusieurs indicateurs économiques, à savoir :

  •  la baisse significative des commandes et du chiffre d’affaires ;
  • des pertes structurelles conséquentes sur les 4 dernières années, avec un endettement s’élevant à 7,5 millions d’euros à fin décembre 2016 ;
  • des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social.

Mais l’intéressé conteste le bien-fondé de la rupture et porte l’affaire devant la juridiction prud’homale. Débouté en première instance, il obtient gain de cause devant la cour d’appel.
La cour d’appel retient que l’employeur n’apporte pas la preuve de la baisse des commandes et/ou du chiffre d’affaires sur 3 trimestres consécutifs incluant celui au cours duquel la rupture du contrat de travail a été notifiée.
Elle relève en effet que, si l’employeur se réfère aux bilans qu’il produit au titre des années 2013, 2014, 2015 et 2016, il ne justifie pas de sa situation à la date du licenciement autrement qu’en évoquant des résultats prévisionnels pour 2016 et ne produit aucune analyse prévisionnelle de l’évolution de sa situation économique pour 2017. 
De ces constatations, la cour d’appel déduit que la preuve n’est pas rapportée de la réalité des difficultés économiques alléguées par l’employeur et que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
C’est précisément cette étape du raisonnement qui est censurée par la Cour de cassation. Pour elle, en effet, la cour d’appel ne pouvait pas invalider le licenciement au seul motif que l’un des indicateurs économiques invoqués par l’employeur, en l’occurrence celui relatif à la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, n’était pas établi.
Elle juge au contraire que la cour d’appel aurait dû, au vu de l’ensemble des éléments versés au dossier, rechercher si les difficultés économiques étaient caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs économiques énumérés au 1o de l’article L 1233-3, tel que des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Au cas particulier, elle estime que la cour d’appel aurait dû prendre en compte ces deux éléments également invoqués par l’employeur : des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social ; un niveau d’endettement s’élevant à 7,5 millions d’euros à fin décembre 2016. 

Il est donc conseillé à l’employeur qui envisage un licenciement en raison de difficultés économiques d’être en mesure de le justifier par l’évolution de plusieurs indicateurs économiques et de ne pas se fonder uniquement sur une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires sur une période déterminée, la preuve d’une telle baisse étant en pratique difficile à apporter, comme le démontre la présente.

Sources : Cass. soc. 21-9-2022 n° 20-18.511 FS-B, Sté Viessmann industrie France c/ L.