Le juge civil peut désormais tenir compte d’éléments de preuve obtenus de manière déloyale sous conditions ; c’est ce qu’il ressort de décisions de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 22/12/2023
Opérant un revirement de sa jurisprudence en la matière, l’assemblée plénière de la Cour accepte désormais que le juge civil puisse tenir compte, sous conditions, d’éléments de preuve obtenus de manière déloyale ; s’alignant par-là sur la jurisprudence européenne.
En effet jusqu’à ce jour lorsque qu’une preuve était obtenue à l’insu d’une personne grâce à une manœuvre ou un stratagème, un juge ne pouvait en tenir compte.
Or dans une première affaire, un responsable commercial « grands comptes » contestait son licenciement pour faute grave. En appel, les juges avaient déclaré irrecevables les preuves apportées par l’employeur au soutien du licenciement du salarié ; ces preuves ayant été obtenues par des enregistrements clandestins des entretiens préalables et en avaient conclu au caractère injustifié du licenciement du salarié. Ces enregistrements clandestins permettaient d’attester que le salarié avait expressément refusé de fournir à son employeur le suivi de son activité commerciale.
L’employeur s’est donc pourvu en cassation, estimant que « l’enregistrement audio, même obtenu à l’insu du salarié, est recevable et peut être produit et utilisé en justice dès lors qu’il ne porte pas atteinte aux droits du salarié, qu’il est indispensable au droit de la preuve et aux intérêts de l’employeur et qu’il a pu être discuté dans le cadre du procès équitable ».
La cour, se conformant au droit européen ; et décide que la preuve obtenue de manière déloyale est recevable sous certaines conditions. Elle décide ainsi que désormais « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ». Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte atteinte au caractère équitable dès la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit de la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit de la preuve pouvant justifier la production d’élément portant atteinte à d’autres droits à la condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteint soit proportionnée au but poursuivi.
La cour de cassation renvoie dès lors les parties devant la cour d’appel de Paris qui devra procéder « au contrôle de cette proportionnalité » sans écarter d’emblée les preuves obtenues de manière déloyale comme l’avait fait la 1ère cour d’appel.
Toutefois, même si une preuve déloyale n’est pas d’emblée irrecevable, les conditions pour être recevables sont exigeantes : le juge s’interrogera sur la légitimité du contrôle de l’employeur, et vérifiera si cette même preuve ne pouvait être obtenue par un autre moyen plus respectueux de la vie personnelle du salarié ; et enfin il devra apprécier le caractère proportionné de l’atteinte porté à la vie personnelle au regard du but recherché.
Dans la 2ème affaire, la décision est différente car elle mettait en jeu la vie privée du salarié.
Dans cette seconde espèce en effet, en l’absence du salarié, son remplaçant avait découvert sur son compte Facebook, resté accessible sur son ordinateur professionnel, une conversation avec une autre salariée de l’entreprise ; dans cette conversation, le salarié absent sous-entendait dans des termes insultants, que la promotion dont avait bénéficier l’intérimaire était « lié à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique ». L’intérimaire avait transmis cette conversation à l’employeur ; ce qui avait conduit au licenciement pour faute grave du salarié auteur de la conversation, en raison des propos insultants tenus lors de cet échange électronique, à l’encontre de son supérieur hiérarchique et de l’intérimaire qui le remplaçait.
Dans cette affaire, contrairement à la précédente, l’assemblée plénière refuse à l’employeur d’invoquer cet élément de preuve pour justifier le licenciement du salarié. En effet, les juges rappellent « qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. Ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Dans cette affaire, « la conversation privée (Facebook) qui n’était pas destinée à être rendue publique ne pouvant constituer un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d’être justifié ».
Source : (Cf. Cassation Assemblée plénière 22/12/2023 – N°20-20.648 BR & 21.11.330 BR)