05.04.2023

Licenciement avec PSE : tant que le CSE n'a pas rendu ses avis, le projet de réorganisation est en attente

Respect des règles de consultation du CSE

Un CSE avait tenté de faire juger que l’employeur avait court-circuité la procédure de consultation relative au PSE en anticipant la fermeture d’un établissement. Le Conseil d’État concède que l’action du CSE n’était pas justifiée, dans un arrêt à lire « en creux », puisque le juge administratif en profite pour rappeler qu’il est rigoureusement interdit de mettre en œuvre une réorganisation avant que le CSE a rendu ses avis.

Une fermeture consécutive à l’échec de renégociation du bail et un licenciement collectif avec PSE

Une entreprise du secteur de la grande distribution alimentaire avait cherché à renégocier à la baisse le loyer d’un établissement situé à Marseille, dédié à la livraison de produits achetés en ligne.

N’étant pas parvenu à ses fins, l’employeur avait informé la DIRECCTE (aujourd’hui la DREETS), le 22 mars 2019, de son intention de fermer l’établissement et de licencier les salariés pour motif économique.

Conformément à ce que prévoit le code du travail, il avait alors entamé l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et engagé la procédure de consultation du comité social et économique (CSE).

Le calendrier était initialement assez serré, puisque le bail devait prendre fin le 30 juin 2019 (l’employeur parviendra finalement à négocier sa prolongation jusqu’au 30 septembre 2019).

Rappel du cadre légal du licenciement collectif pour motif économique avec PSE

Toute entreprise d'au moins 50 salariés qui envisage de licencier au moins 10 salariés en 30 jours (« grand » licenciement) doit élaborer un PSE (c. trav. art. L. 1233-61).

Ce plan peut être soit négocié, soit élaboré directement par l’employeur. Le PSE est ensuite soumis à l'administration pour validation (PSE sous forme d'accord collectif) ou pour homologation (PSE élaboré unilatéralement par l'employeur) (c. trav. art. L. 1233-57-3).

Dans cette affaire, l’employeur avait opté pour la voie unilatérale.

La procédure de licenciement collectif nécessite par ailleurs de consulter le CSE (c. trav. art. L. 1233-57-3). Cette consultation porte :

  • d’une part sur l’opération projetée et ses modalités d’application (c’est en quelque sorte le volet économique du projet) ;
  • d’autre part, mais uniquement en cas de PSE par décision unilatérale, sur le projet de licenciement collectif (nombre de suppressions d’emplois, critères d’ordre, calendrier prévisionnel des licenciements, etc.).

Lorsque l’employeur élabore unilatéralement le PSE, comme dans cette affaire, le CSE doit donc rendre deux avis, l’un sur l’opération projetée, l’autre sur le projet de licenciement collectif.

Naturellement, l’employeur ne peut pas mettre en œuvre l’opération projetée (ici la fermeture de l’établissement) tant que la procédure de consultation n’a pas été menée à son terme, c’est-à-dire tant que le CSE n’a pas pu rendre ses deux avis en connaissance de cause.

Pour le CSE, le processus de fermeture avait été engagé pendant la consultation

Un calendrier serré, en raison de la fin prochaine du bail. - Le CSE estimait dans cette affaire avoir été placé devant le fait accompli.

D’une part, il reprochait à l’employeur de ne pas lui avoir communiqué au préalable le courrier de renégociation du bail.

D’autre part, il s’était inquiété du fait que, dès le 29 mars, certains salariés avaient été mis en dispense d’activité.

Injonction de l’administration. - Pour les élus du personnel, le processus de fermeture avait donc été engagé et risquait d’être finalisé avant la fin de la procédure de consultation.

Ils avaient d’ailleurs saisi l’administration, qui, usant de son pouvoir d’injonction (c. trav. art. L. 1237-5 et D. 1233-12), était intervenue auprès de l’employeur par un courrier du 19 avril 2019 « afin que la date de fermeture définitive de l’établissement soit compatible avec la fin de la procédure d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel. »

En définitive, le CSE avait rendu ses deux avis (que l’on imagine négatifs) et le PSE avait été homologué par l’administration.

Mais, pour les élus, les conditions dans lesquelles le CSE avait été consulté auraient dû conduire à un refus d’homologation. Ils avaient en conséquence demandé l’annulation de la décision du DIRECCTE, en pure perte : le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel ont rejeté cette demande et le Conseil d’État valide aujourd’hui la décision des juges du fond.

Pour le juge administratif, le CSE avait été régulièrement consulté

Interdiction de mettre en œuvre la réorganisation tant que la procédure de consultation n’a pas été menée à son terme. - Le Conseil d’État met à profit cette affaire pour rappeler les différents points que doit contrôler l’administration lorsqu’elle est saisie d’une demande d’homologation.

Indirectement, cette grille d’analyse permet de poser les principes guidant la procédure d’information et de consultation du CSE.

De façon générale, l’administration s’assure que le CSE a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi.

Or, pour que l’avis du CSE soit régulier, il faut que la procédure de consultation ait été menée à son terme « avant toute mise en œuvre de la réorganisation projetée ».

Le DREETS doit donc vérifier « qu'aucune décision de cessation d'activité ou de réorganisation de la société, expresse ou révélée par un acte quelconque, n'a été prise par l'employeur avant l'achèvement de la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel et que l'employeur a adressé au comité, avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité, tous les éléments utiles pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation ».

Dans cette affaire, l’employeur n’avait pas anticipé la fermeture de l’établissement. - Dans le cas présent, le Conseil d’État approuve les juges du fond, qui ont estimé que l’employeur n’avait pas lancé la fermeture avant d’avoir mené à terme la procédure de consultation :

-le CSE ne pouvait pas reprocher à l'employeur de ne pas avoir adressé préalablement aux élus le courrier de renégociation du bail adressé au bailleur ;

-la décision de mettre certains salariés en dispense d’activité ne traduisait pas une mise en œuvre anticipée de la fermeture ;

-l’établissement avait bien poursuivi son activité de vente en ligne et de livraison de produits alimentaires durant tout la période d’élaboration du PSE ;

-l’administration s’était assurée que le CSE avait été informé en temps utile de l’ensemble des éléments relatifs à la procédure de licenciement collectif, en faisant usage de son pouvoir d’injonction.

En définitive, le CSE « avait disposé de tous les éléments utiles pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui n'étaient pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation ».

C’est donc à juste titre que la cour d’appel a rejeté la demande d’annulation de la décision d’homologation du PSE.

Pas avant le terme de la consultation, mais éventuellement avant l’homologation

Cette décision peut se rapprocher d’un autre arrêt, rendu cette fois par la Cour de cassation, qui a précisé un autre aspect de la procédure (cass. soc. 23 mars 2022, n° 20-15370 FSB).

À propos d’un employeur qui, entre la fin de la procédure de consultation de CSE et dans l’attente de la décision d’homologation, avait fermé deux agences et mis les salariés concernés en disponibilité, le juge judiciaire a ainsi considéré qu'il était possible de commencer à mettre en œuvre la réorganisation alors que le PSE n’avait pas encore été homologué par l’administration.

Tout en adoptant une approche relativement souple de la procédure, la Cour de cassation a néanmoins rappelé que le CSE devait être saisi en temps utile des projets de restructuration et de compression des effectifs, sous-entendant qu’il était impossible de mettre en œuvre un tel projet tant que la procédure de consultation n’avait pas été menée à son terme. Sur ce point, sa jurisprudence rejoint donc celle du Conseil d’État. Le code du travail ne permet d’ailleurs pas une autre interprétation.

Source : CE 15 novembre 2022, n° 444480