18.12.2015

Abattement pour durée de détention : il ne s'applique pas aux moins-values


Pour rappel, depuis le 1er janvier 2013, les gains nets de cession ou de rachat de titres sont imposables l’année suivant la cession ou le rachat à l’impôt sur le revenu selon le barème progressif (et non plus imposables selon un taux forfaitaire). Pour limiter les effets de la progressivité de l’impôt sur le revenu et favoriser l’investissement à long terme, deux abattements pour durée de détention ont été créés :

Un abattement de droit commun :

  • 50% pour une durée de 2 ans à moins de 8 ans ;
  • 65% à partir de 8 ans ;

Un abattement renforcé :

  • 50% pour une durée de 1 an à moins de 4 ans ;
  • 65% pour une durée comprise entre 4 ans à moins de 8 ans ;
  • 85% à partir de 8 ans.

Compte tenu de la rédaction de l’article 150-0 D 1 alinéa 2 du Code Général des impôts (« Les gains nets [...] sont réduits d'un abattement [...] »), l’Administration Fiscale en avait déduit que les abattements pour durée de détention pouvaient s’appliquer aux plus-values comme aux moins-values.

Dans un arrêt du 12 novembre 2015, le Conseil d’Etat a annulé les points de la doctrine administrative prévoyant l’application des abattements pour durée de détention sur les moins-values en considérant que l’Administration fiscale, en adoptant cette position, ne se bornait pas à expliciter la loi mais y ajoutait des dispositions nouvelles qu’aucun texte ne l’autorisait à éditer.

Ainsi, le Conseil d’Etat considère que les abattements pour durée de détention ne s’appliquent pas aux moins-values de cession.

Néanmoins, le Conseil d’Etat ne se borne pas à rendre inapplicables les abattements pour durée de détention aux moins-values de cession mais prescrit clairement la méthodologie qu’il convient de retenir pour le calcul des plus ou moins-values avec application des abattements.

Selon le Conseil d’Etat, il y a lieu tout d’abord de calculer un solde en imputant sur les différentes plus-values réalisées par le contribuable, avant tout abattement, les moins-values de même nature que le contribuable a subies au cours de la même année (ou reportées) pour le montant et sur les plus-values de son choix. Ensuite l’abattement pour durée de détention s’applique au solde ainsi obtenu, en fonction de la durée de détention des titres dont la cession a fait apparaître les plus-values subsistant après imputation des moins-values. Ces deux étapes permettent d’aboutir aux « gains nets imposables ».

Cette nouvelle méthode n’aboutit pas systématiquement à une imposition plus faible que celle qui résultait de l’application de la position administrative.

Exemples comparatifs :

1- Un contribuable a réalisé la même année :

  • une plus-value de 50 000 € sur des titres A détenus depuis moins de 2 ans ;
  • une moins-value de 30 000 € sur des titres B détenus depuis plus de 8 ans.

Ancienne méthode (instruction administrative) :

  • plus-value de 50 000 € sans aucun abattement ;
  • moins-value de 30 000 € avec abattement de 65% soit une moins-value nette de 10 500 € ;
  • gain net de 39 500 € (50 000 € - 10 500 €).

Nouvelle méthode (position du Conseil d’Etat) :

  • plus-value nette de 20 000 € (50 000 € - 30 000 €) ;
  • gain net de 20 000 € (car aucun abattement ne découle de la plus-value).

Dans ce cas, la nouvelle méthode du Conseil d’Etat est plus favorable au contribuable.

2- Un contribuable a réalisé la même année :

  • une plus-value de 50 000 € sur des titres A détenus depuis plus de 8 ans ;
  • une moins-value de 30 000 € sur des titres B détenus depuis moins de 2 ans.

Ancienne méthode (instruction administrative) :

  • plus-value nette de 17 500 € (abattement de 65%) ;
  • moins-value nette de 30 000 € (aucun abattement) ;
  • perte nette de 12 500 € (17 500 € - 30 000 €) à imputer sur des gains futurs.

Nouvelle méthode (position du Conseil d’Etat) :

  • plus-value nette de 20 000 € (50 000 € - 30 000 €) ;
  • gain net de 7 000 € (abattement de 65% sur les 20 000 €).

Dans ce cas, la nouvelle méthode du Conseil d’Etat est moins favorable au contribuable.

A noter que le Conseil d’Etat a précisé clairement dans son arrêt que les moins-values pouvaient être imputées par le contribuable « pour le montant et sur les plus-values de son choix ».

Le contribuable sera donc libre d’imputer ses pertes sur les différents gains réalisés au cours d’une même année civile. Il sera notamment opportun de choisir prioritairement les gains ne bénéficiant pas déjà d’un abattement pour durée de détention.

On peut en revanche s’interroger sur la possibilité (et l’opportunité) d’opter pour un report de pertes sur les années suivantes. En effet, le contribuable qui dispose d’une plus-value avec un fort abattement pourrait trouver un intérêt à reporter sa moins-value de l’exercice (qui serait de fait minorée par l’abattement si imputation) sur les années suivantes et notamment s’il envisage de faire une autre cession qui dégagerait une plus-value soumise à un abattement plus faible voire sans abattement.

Il faudra pour cela attendre une nouvelle intervention de l’Administration fiscale ou du juge de l’impôt pour obtenir cette précision. En tout état de cause, il y a lieu de rappeler qu’une perte ne pourra être reportée au-delà des dix années qui suivent sa réalisation.

Suite à cette modification de méthodologique apportée par le Conseil d’Etat, il faut s’interroger sur les rectifications qui peuvent en découler.

Dans le cas des contribuables qui ont réalisé des cessions de valeurs mobilières en 2013 et en 2014, il y a lieu de recalculer le montant du gain net taxable et des pertes en report qu’ils ont déclaré.

Si le nouveau calcul du gain net taxable aboutit à une assiette d’imposition inférieure à celle initialement déclarée, le contribuable doit réclamer le dégrèvement du trop payé avant le 31 décembre 2016 pour les revenus de 2013 et avant le 31 décembre 2017 pour les revenus de 2014.

Si le nouveau calcul ne change pas l’assiette de l’impôt mais uniquement le montant des pertes en report, il semblerait que la rectification puisse être faite directement sur le formulaire de suivi des pertes en report annexé aux déclarations de revenus ultérieures.

Si enfin le nouveau calcul aboutit à une imposition supérieure, on peut s’interroger sur la possibilité qu’aurait l’Administration fiscale de réclamer un complément d’impôt sur les revenus 2013 et 2014.

Les contribuables qui ont appliqué de bonne foi les dispositions (désormais annulées) de la doctrine administrative en 2014 seront protégés de toute remise en cause en application de l’article L. 80 A du Livre de Procédures Fiscales.

En revanche, les contribuables qui ont appliqué ses dispositions en 2013 (alors qu’elles n’étaient qu’induites par les formulaires fournis et pas encore publiées – mise en consultation des premiers commentaires administratifs à compter du 14 octobre 2014) ne sont pas couverts par l’article L. 80 A du LPF et le changement de doctrine.

Source : Conseil d’Etat, 12 novembre 2015, n°390265.