17.11.2022

Domicile du salarié : son libre choix peut-il être entravé au nom de la protection de sa santé ?

Le salarié qui s'éloigne de manière significative de son lieu de travail doit en informer son employeur.

Un salarié qui choisit de déménager à plusieurs centaines de kilomètres du siège de son entreprise peut être licencié au nom de l’obligation de l’employeur en matière de prévention de la santé et de sécurité des salariés. C’est ce que vient de juger la cour d’appel de Versailles.

Conformément à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. C’est pourquoi il est de jurisprudence constante que tout salarié dispose de la liberté de choisir son domicile.

Ce principe n’interdit pas pour autant l’employeur d’insérer dans le contrat de travail une clause de domicile ou une clause de mobilité, à condition que cette restriction soit indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée au but recherché.

En l’absence de clause de résidence ou de mobilité, ce qui était le cas en l’espèce, de quels moyens l’employeur dispose-t-il pour imposer un lieu de résidence à un salarié, alors que ce dernier a déménagé à plusieurs centaines de kilomètres ?

C’est sous l’angle de l’obligation de sécurité en matière de santé des salariés qui s’impose à l’employeur que ce dernier a tenté de justifier les restrictions apportées au choix du domicile d’un salarié.

En l’espèce, un salarié, responsable du support technique, a déménagé en Bretagne, à 450 km du siège de l’entreprise situé dans les Yvelines.

L’employeur lui reprochait de ne pas l’avoir informé de ce changement, alors que son contrat de travail fixait son activité au siège de l’entreprise. Il considérait que ce nouveau domicile n’était pas compatible avec son obligation de sécurité en matière de santé des salariés et avec les déplacements professionnels induits par l’activité de l’intéressé. Il lui avait donc demandé de régulariser sa situation et de revenir en région parisienne. Le salarié, ayant refusé d’obtempérer, a été licencié.

Pour le salarié, au contraire, l’employeur était bien informé, comme le traduisent ses bulletins de paie, et cette modification n’a entraîné aucun retard ni aucune demande de prise en charge des frais induits par cette installation en Bretagne. Le salarié indiquait également qu’il passait moins de 17 % de son temps au siège de l’entreprise, le reste constituant des déplacements professionnels. Il se prévalait enfin de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

La cour d’appel de Versailles retient l’argument de l’employeur et admet que le salarié a commis une faute en refusant de revenir à proximité du siège social de l’entreprise. Le licenciement est jugé légitime.

Le raisonnement de la cour repose d’abord sur les exigences induites par les articles L.4121-1 et L.4122-1 du code du travail. Selon le premier de ces articles, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Quant au second, il impose aux salariés de prendre soin de leur santé et de leur sécurité, en fonction de leur formation et selon leurs possibilités, ainsi que de celles des autres personnes concernées par leurs actes ou leurs omissions au travail, conformément aux instructions qui leur sont données par l’employeur.

Se fondant sur ces deux dispositions, les juges du fond valident la position de l’employeur refusant le déménagement du salarié "en raison de la distance excessive" qu’il engendre par rapport au lieu de travail. La cour rappelle en effet que le salarié se trouvait à 442 km du siège de l’entreprise, ce qui représentait 4h30 de trajet par la route et 3h30 par le train, et un éloignement des aéroports parisiens.

Le second argument retenu par la cour d’appel repose sur l’obligation pour l’employeur de veiller au repos quotidien du salarié et à l’équilibre entre sa vie familiale et sa vie professionnelle dans le cadre de la convention de forfait en jours à laquelle il était soumis.

Rappelons qu’une cour d’appel avait déjà estimé que, si un salarié ne saurait se voir imposer un lieu de résidence particulier par son employeur, encore faut-il que le choix de son domicile personnel lui permette de consacrer le temps utile à son travail. Les juges du fond avaient considéré que tel n’était pas le cas lorsque le salarié avait gardé son domicile à 400 km de son lieu de travail et qu’il était ainsi amené à voyager pendant un temps qu’il aurait normalement dû passer à travailler (cour d'appel de Toulouse, 20 décembre 2001 n° 01/2027).

On peut penser que c’est la distance jugée excessive du déménagement qui a conduit à cette solution sévère.

On peut également imaginer qu’à l’ère du télétravail la position de la cour d’appel pourrait être différente pour des postes qui se prêtent complètement à ce type d’activité, ce qui n’était pas le cas pour le salarié en cause.

Source : CA Versailles, 10 mars 2022,