11.10.2021

Bail commercial : clause d’indexation


La clause d’indexation d’un bail commercial ne jouant qu’à la hausse est réputée non écrite et l’action en contestation de cette clause est imprescriptible. Si la stipulation irrégulière est dissociable du reste de la clause, la sanction ne vise qu’elle.

1. Un locataire de bureaux conteste la validité de la clause d’un bail prévoyant que l’indexation du loyer ne s’effectuerait que dans l’hypothèse d’une variation à la hausse de l’indice. En 2016, il agit en justice en vue de voir la clause d’indexation déclarée non écrite et réclame le remboursement des loyers qu’il estime avoir versé en trop. 

Le bailleur lui oppose la prescription de l’action engagée plus de cinq ans après la conclusion du bail (conclu en 2009). La Cour de cassation écarte la fin de non-recevoir.

La détermination de la sanction applicable…

2. On sait que l’article L 145-15 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi Pinel (Loi du 18 juin 2014), a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L 145-37 à L 145-41 du Code de commerce, antérieurement encourue, leur caractère non écrit.

On sait également que cette sanction nouvelle est applicable aux baux en cours lors de l’entrée en vigueur de ce texte ( Cass. 3e civ. 19-11-2020 no 19-20.405 : BRDA 1/21 inf. 15) et que l’action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail commercial est imprescriptible, à la différence d’une action en nullité ( Cass. 3e civ. 19-11-2020 no 19-20.405, précité).

3. Cette sanction était-elle ici applicable à la clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse, de sorte que l’action tendant à voir déclarer cette clause irrégulière était recevable plus de cinq ans après la conclusion du contrat ?

Fallait-il au contraire lui appliquer le délai de prescription de cinq ans, prévu notamment pour les actions en nullité ?

… dépend du fondement de l’irrégularité dénoncée

4. La réponse à cette question dépend du fondement sous l’angle duquel est examinée l’irrégularité de la clause d’indexation litigieuse.

Le Code monétaire et financier encadre les clauses d’indexation de deux manières (C. mon. fin. art. L 112-1 et L 112-2) :

  • - en limitant le choix de l’indice à ceux qui sont en relation directe avec l’objet du statut ou de la convention ou avec l’activité de l’une des parties ; la violation de cette interdiction est sanctionnée par la nullité absolue ;
  • - en interdisant toute distorsion entre l’intervalle de variation indiciaire et la durée s’écoulant entre deux révisions, dans le but d’éviter un effet inflationniste ; dans ce cas, la clause est réputée non écrite, comme le prévoit expressément l’article L 112-1 du Code monétaire et financier.

5. Or la clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse ne tombe sous le coup d’aucune de ces interdictions.
En ce qu’elle n’a pas pour objet de neutraliser les effets de l’instabilité monétaire, mais de favoriser l’une des parties au contrat en faisant du loyer en cours un loyer plancher, cette clause fausse cependant le mécanisme normal de l’indexation. Elle a également un effet inflationniste, dès lors qu’elle peut conduire à une augmentation globale de loyer sur une période au cours de laquelle l’indice a baissé.

La Cour de cassation la juge donc illicite, au motif que le propre d’une clause d’échelle mobile est de faire varier le loyer à la hausse et à la baisse (Cass. 3e civ. 14-1-2016 no 14-24.681 FS-PB : RJDA 4/16 no 261).

Mais, cette irrégularité n’entrant dans le champ d’application d’aucun des textes du Code monétaire et financier précités, quelle sanction lui appliquer ?

6. Pour trancher en faveur du réputé non écrit, la Cour de cassation précise ici qu’une telle clause fait également échec à l’article L 145-39 du Code de commerce, suivant lequel la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de la clause d’échelle mobile, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé.En effet, relève la Haute Juridiction, la neutralisation des années de baisse de l’indice de référence a mathématiquement pour effet de modifier le délai d’atteinte du seuil de variation du quart, conditionnant la révision du loyer, tel qu’il résulterait de l’évolution réelle de l’indice. Or, la sanction du non-respect de ces dispositions est le réputé non écrit (C. com. art. L 145-15).

Par suite, l’action du locataire tendant à voir la clause litigieuse réputée non écrite était imprescriptible.

Restitution du trop-perçu

7. L’action en restitution du trop-perçu (qui est la conséquence de l’action ayant déclaré irrégulière la clause d’indexation) est cependant soumise à la prescription de cinq ans de l’article 2224 du Code civil (CA Paris 20-1-2016 no 13-21626).

Le réputé non écrit est limité à la stipulation irrégulière

8. La question se posait également de savoir si la sanction du réputé non écrit devait viser la clause d’indexation dans son ensemble ou être limitée à la partie illicite de la clause.

Autrement dit, était-il possible de dissocier, dans la clause d’indexation, les seules stipulations qui ne respectent pas les règles applicables en la matière, telles celles qui limitent le jeu de l’indexation à la hausse, et de ne supprimer que celles-ci ?

9. La question pouvait être examinée sous deux angles :

  • - celui du caractère déterminant ou essentiel de la stipulation illicite sur l’engagement des parties ; les parties auraient-elles prévu une clause d’indexation si celle-ci avait pu jouer à la baisse ? Dans la négative, il faudrait annuler la clause d’indexation en son entier – et non pas seulement la clause plancher ;
  • - celui de l’indivisibilité de la stipulation illicite par rapport au reste de la clause ; lorsqu’elle est divisible du reste de la clause, seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite.

10. Dans un arrêt antérieur, la Cour de cassation s’était placée sur le terrain du caractère déterminant de la partie illicite de la clause pour la déclarer non-écrite en son entier (Cass. 3e civ. 14-1-2016 no 14-24.681 FS-PB : RJDA 4/16 no 261).

Elle a ensuite jugé que seule la partie de la clause créant la distorsion prohibée devait être réputée non écrite ( Cass. 3e civ. 29-11-2018 no 17-23.058 FS-PBRI : RJDA 2/19 no 76 ; Cass. 3e civ. 6-2-2020 no 18-24.599 FS-PBI : RJDA 4/20 no 202).

11. Elle apporte ici une précision importante : pour pouvoir neutraliser la clause d’indexation en son entier, en raison de l’illicéité d’une de ses stipulations, les juges doivent caractériser une indivisibilité entre ses dispositions. La clause ne pourra ainsi être déclarée entièrement non écrite que si la stipulation illégale est indissociable du reste de la clause.

La solution a une portée pratique importante, puisque, dans un cas, le principe de l’indexation subsiste, dans l’autre, le loyer n’est plus indexé – ce qui expose le bailleur à des restitutions importantes.

12. Rappelons qu’il résulte de l’article 1217 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit des contrats (applicable en l’espèce), que l’obligation est divisible ou indivisible selon qu’elle a pour objet une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui, dans l’exécution, est ou n’est pas susceptible de division soit matérielle, soit intellectuelle.

L’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 n’a pas repris cette définition.

Source : Cass. 3e civ. 30-6-2021 n° 19-23.038 FP-BC, Sté Reims Talleyrand c/ Sté HSBC Continental Europe