09.08.2022

Une blague sexiste peut-elle justifier un licenciement ?

Appréciation par la Cour de cassation des propos au regard du contrat de travail et non de la liberté d'expression.

Dans un arrêt du 20 avril 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu à juger le licenciement pour faute grave d’un animateur de télévision en raison d’une « blague » sexiste et notamment le fait de savoir si cette sanction portait une atteinte excessive à la liberté d’expression garantie au salarié.
Sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. L’employeur peut y apporter des restrictions, mais uniquement si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

Dans ce cas, si le salarié enfreint les limites posées par l’employeur, il peut être licencié. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt, mettant en balance respect du contrat de travail et liberté d’expression.

Dans les faits, un humoriste, engagé par une société de production audiovisuelle pour animer un jeu télévisé sur France 2, a été licencié pour faute grave le 14 décembre 2017 après avoir tenu des propos sexistes.
Invité sur une autre chaîne pour faire la promotion de son dernier spectacle, l’animateur avait conclu l’émission en faisant la plaisanterie suivante : « Comme c’est un sujet super sensible, je la tente : les gars vous savez c’qu’on dit à une femme qu’a déjà les deux yeux au beurre noir? – Elle est terrible celle-là! – On ne lui dit plus rien on vient déjà d’lui expliquer deux fois !».

Dans les jours suivants, à l’occasion d’un tournage de l’émission dont il était l’animateur, le salarié avait de nouveau eu une attitude déplacée en ajoutant des propos de même nature à l’égard d’une candidate.
La société de production audiovisuelle l’a licencié pour faute grave ; licenciement contesté par le salarié qui a mis en avant la liberté d’expression. Il estimait qu’il n’avait commis aucun abus en formulant « même en public lors d’une émission de télévision, un trait d’humour provocant », d’autant plus qu’il l’avait fait en sa qualité d’humoriste.
Les juges du fond n’ont pas été sensibles à ses arguments et la Cour de cassation a confirmé que son licenciement pour faute grave était justifié.
La Cour de cassation relève tout d’abord que le salarié était tenu par son contrat de travail de respecter une charte par laquelle il s’engageait, sous peine d’être licencié pour faute grave, à ne tenir « aucun propos risquant d’exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou au mépris, notamment pour des motifs fondés sur le sexe ». Dès lors, le fait de tenir des propos sexistes constituait bien une faute du salarié dans l’exécution de son contrat de travail, considère la Cour.
Les propos étaient également « de nature à ternir durablement l’image de la société », exigeant le remplacement « sans délai » de l’animateur en application des clauses contractuelles liant les parties, relèvent également les juges. 
Dans un communiqué accompagnant l’arrêt, la Cour de cassation précise que dans cette affaire, elle ne juge pas qu’un humoriste n’a pas le droit de faire une telle « blague » à la télévision.
En effet, la Cour de cassation se place ici dans le cadre du contrat de travail que l’intéressé avait signé pour exercer un métier d’animateur à la télévision : elle juge qu’au regard des clauses prévues dans le contrat de travail et des circonstances, concernant tant le salarié que l’employeur, qui ont entouré cette « blague », le licenciement ne constituait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression du salarié. Dans cette affaire, plusieurs éléments ont ainsi été pris en compte.
En premier lieu, le contexte dans lequel les faits reprochés s’inscrivent. Les propos avaient été tenus alors que plusieurs événements récemment médiatisés venaient rappeler la nécessité d’une lutte contre les violences domestiques et les discriminations à raison du sexe (affaire Weinstein, mouvements « #MeToo », « #BalanceTonPorc » et annonce par le président de la République de mesures visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles).

De surcroît, le salarié avait tenu ses propos, au terme d’une émission diffusée en direct à une heure de grande écoute.
Autre élément pris en compte : le comportement du salarié. Satisfait de la polémique, il avait réitéré les jours suivants des propos sexistes à l’égard d’une candidate de sa propre émission.

Sources : Cass. soc., 20 avr. 2022, no20-10.852 FS-B